
À la redécouverte d’Edmée Pauline Delebecque (1880–1951)
Une poétesse, graveuse et peintre injustement oubliée
Par Nicolas Louis, originaire de Dieulefit
Pourquoi ce blog ?
Je suis originaire de Dieulefit par ma mère, dans la Drôme provençale, petite ville où vécut une artiste méconnue et pourtant remarquable : Edmée Pauline Delebecque. Depuis plusieurs années, je m’intéresse à son parcours, à ses poèmes, et à ses œuvres graphiques, aujourd’hui largement tombées dans l’oubli.
À travers ce blog, je souhaite faire revivre sa mémoire, partager ses textes et images, et aider à rassembler tout ce qui subsiste de son œuvre : manuscrits, livres, lithographies, cartes postales illustrées, dessins…
Qui était Edmée Pauline Delebecque ?
Née à Paris en 1880 dans une famille cultivée (petite-fille de Germain Delebecque, député), Edmée Pauline Delebecque fut poétesse, traductrice, peintre et graveuse.
Elle publia notamment :
- Je meurs de soif auprès de la fontaine (Sansot, 1907), cité dans Le Mouvement littéraire (1907) (en attente de la BNF, pour numériser ces documents)
- Des poèmes dans la revue La Nuit claire qu’elle dirigeait (1912) (en attente de la BNF, pour numériser ces documents)
- Une traduction complète de l’hébreu du Livre de Job (1914) Ed. Ernest Leroux
- Une série d’illustrations et de lithographies (paysages de Dieulefit, Provence, Marseille…)
- Ouvrage « Les Croix de bois » pour la comtesse Estelle Barbey de Jumilhac. 12 compositions à pleine page au lavis d’encre de Chine (1928) (l’ouvrage n’a pas été numérisé, pas de visuels en l’état)

Un article élogieux signé P. Quillard dans Mercure de France (1er mai 1907)se fait l’écho de son recueil Je meurs de soif auprès de la fontaine, dont il souligne avec finesse la sensibilité et la profondeur émotionnelle :
« C’est là le cri d’une passionnée jusqu’ici déçue, incomprise, insatisfaite. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant qu’une évolution se produisît chez Mme Edmée Delebecque. Sans doute nous trouverons toujours chez elle cette tristesse qui me paraît être le fond de sa nature, mais peut‑être son esprit et son cœur nous apparaîtront‑ils alors moins sombres, moins tourmentés. »
Elle s’installe à Dieulefit après 1925 et y mène une vie d’artiste discrète mais prolifique, au plus près de la nature.

Une poésie mystique, intime et lucide
Dans ses poèmes, Edmée exprime une soif d’absolu, de lumière, d’amour total. On y lit :
Je meurs de soif auprès de la fontaine,
Je cherche un Dieu puissant et tendre, un idéal…
C’est le jaillissement d’un amour triomphal
Que je cherche partout, que j’attends, que j’implore !…
Ses textes mêlent douleur, ferveur, spiritualité, féminité fière et orgueil mystique. Elle figure parmi les poétesses choisies dans « Les Muses françaises » (Alphonse Séché, 1908), ce qui témoigne de sa reconnaissance en son temps.
Une artiste visuelle aussi
Outre sa poésie, Edmée Delebecque réalisa de nombreuses lithographies, gravures et lavis, souvent des paysages autour de Dieulefit ou du sud-est.
Certaines de ses œuvres ont été reproduites en cartes postales anciennes ou visibles en ventes aux enchères, mais peu d’entre elles sont aujourd’hui conservées publiquement.
Article dans Le Figaro 1930 – exposition Galerie Jean Charpentier
« Mme Delebecque, autre dessinateur à remarquer, se révèle avec des paysages à l’encre de Chine d’un très intéressant sentiment ».
Ce que je cherche à rassembler
Je travaille actuellement à constituer un fonds d’archives ouvert au public, qui inclurait :
- Ses recueils en version originale ou scannée
- Ses dessins et lithographies connus
- Des photographies ou témoignages
- Des analyses littéraires de ses poèmes
Si vous possédez ou connaissez un document, une carte, une œuvre, ou même un simple souvenir en lien avec Edmée Delebecque, n’hésitez pas à me contacter.
Me contacter
Vous pouvez m’écrire ici : studiolouisn@gmail.com
Je serais ravi d’échanger avec des amoureux de poésie, des chercheurs, des habitants de Dieulefit ou des collectionneurs intéressés par cette artiste singulière.
Pourquoi faire revivre sa mémoire ?
Parce que des femmes comme Edmée Pauline Delebecque, artistes complètes, visionnaires, sincères, méritent d’être redécouvertes.
Parce qu’elle incarne une voix rare, lucide, à la croisée de l’Art et du silence.
Merci à la famille Chaix, la famille Delclaux, La remise d’Edmond, l’Avventura à Dieulefit et surtout à Claude des Grands Magasins, qui est le seul à l’avoir évoqué.

Dans le livre « Mémoires d’un non-conformiste » (1966 chez GRASSET) par Louis Pasteur VALLERY-RADOT de l’académie française. Il décrit Edmée dans sa jeunesse alors qu’il n’avait que 10 ans.
« Trois femmes m’influencèrent. Il est vrai que les femmes sont à l’origine de toute la vie future de l’enfant. L’une s’appelait Mle Rosalie, l’autre Sara Wiarda, la troisième Edmée Delebecque. »
« Nous allions tous les dimanches chez les Girault. Dans l’appartement des Girault, 36, avenue Henri-Martin, vivait Edmée Delebecque, sœur de Mme Girault. Elle avait seize ans. Elle vivait retirée dans une chambre qui était un immense capharnaüm où s’entassaient livres, dessins, compositions musicales : un fouillis indescriptible.
Edmée Delebecque me prit en affection, bien qu’une différence d’âge de six ans nous séparât. C’était une des femmes les plus intelligentes et les plus originales que j’aie rencontrées. Méprisant le monde, elle vivait seule, passant son temps à lire les philosophes, adorant l’art, jouant Bach et Beethoven à ravir. Je passais des heures le dimanche à l’entendre lire des pages de Spinoza ou de Schopenhauer auxquelles je ne comprenais presque rien.
On devine dans quelle atmosphère je vivais à dix ans.
Spinoza et Schopenhauer dansaient une sarabande dans mon cerveau. Le jeudi nous allions, Edmée et moi, avec l’institutrice de ma sœur, au Louvre. Edmée m’initiait à Dürer, à Vinci, à Rembrandt. Ah ! quels étaient nos enthousiasmes ! Nous nous livrions à des diatribes contre les philistins qui passaient devant ces toiles indifférents, cependant que nous notions d’une, de deux ou de trois croix les œuvres qui nous attiraient le plus. Un jour, Edmée voulut apprendre l’hébreu pour traduire la Bible. La cruauté du dieu des Juifs lui plaisait. En six mois elle sut assez d’hébreu pour traduire les Psaumes. Plus tard elle publia Je meurs de soif auprès de la fontaine, vers d’amour dont certains ont une profonde résonance. Puis elle épousa un garçon que mes parents qualifiaient d’anarchiste.
Chère Edmée, vous m’avez à dix ans libéré du conventionnel dans lequel je vivais. Vous m’avez peut-être initié un peu trop tôt aux mystères. J’étais incapable de vous suivre ; mais je vous garderai toujours la reconnaissance de m’avoir affranchi. »

POÈMES
Près d’un ruisseau
Bercez, bercez mon âme endolorie,
Eaux murmurantes…
Mon âme chante
Sa douleur, et puis est guérie.
Mais je ne sais quelle mélancolie
Demeure en elle…
Eau qui ruisselle
Endors en chantant sa folie.
Toujours, toujours, mon âme triste et vaine,
Oubliant l’heure,
Se tait et pleure;
Il lui faut oublier sa peine,
Et qu’à jamais sa douleur soit guérie
Pour qu’elle chante…
Eau murmurante
Berce mon âme endolorie.

A un frère
Il est dans la riante immensité des choses,
Dans le bruit de la vie et de la volupté,
Sous le ciel clair, parmi les parfums et les roses,
Un coeur toujours rongé d’angoisse et tourmenté;
Un coeur que tout irrite et tue, et qui promène
Partout l’orgueil et la tristesse d’un vaincu,
Qui se sent étranger à toute joie humaine,
Coeur déjà vieux et qui pourtant n’a pas vécu.
Ce coeur qui voudrait enflammer tous les espaces
De la folie impétueuse de ses voeux,
Et qui n’a pas pu saisir même l’ombre qui passe
Du bonheur indicible et surhumain qu’il veut,
Ce coeur est mien: Tout mon trésor et ma misère,
A la fois ma torture et mon obscur amour,
Mon univers et mon poème et mon mystère…
Ce coeur, je viens vous l’apporter, frère d’un jour;
A vous qui l’avez su, de par votre sagesse,
Calmer une heure, ainsi qu’un enfant qu’on endort,
Et qui fîtes fleurir, en ses blancheurs de mort,
Le rosier pâle et précieux de la tendresse.

Aux hommes
Vous m’avez regardé d’un air effarouché,
Et vous avez, quand j’ai passé, tourné la tête,
Parce que je n’ai pas voulu me rapprocher
De vous, ni rire et chanter gaiment dans vos fêtes.
Parce que mon esprit n’est pas semblable à vous,
Vous méconnûtes ma fierté qui vous irrite;
Mais ce n’est pas l’affection ou le courroux
De vos âmes que je redoute ou sollicite.
Moi qui suis ivre des sommets, d’air vierge et pur,
Vous supposer m’est une amère servitude,
Et j’enferme jalousement dans mon coeur dur,
Comme un trésor, ma douleur et ma solitude.
Ce qu’il me faut, ce ne sont pas vos plats amours,
Vos bonheurs languissants ou vos chagrins vulgaires,
Non! c’est un infini plus glorieux, un jour
Plus éclatant, un songe, une extase, un mystère;
C’est quelque Dieu puissant et tendre, un idéal,
Un inconnu que l’âme enfin vivante adore,
C’est le jaillissement d’un amour triomphal
Que je cherche partout, que j’attends, que j’implore !…
Hélas ! dans mon désert immense et mon tourment,
Nul ne vient m’arracher à l’ennui qui me pèse;
Je me torture, et je me consume âprement
Dans un désir que rien n’éteint, que rien n’apaise.
Laissez-moi me plaire en mon mal ! Laissez-moi seul !
Loin de vous, loin du monde étranger, je me voile
Dans les plis de mon rêve ainsi qu’en un linceul
En contemplant la clarté froide des étoiles.

LA VIE NOUVELLE
Une enfance chétive à qui nul n’a souri ;
Qui, pour chauffer son cœur transi, n’eut point de flamme,
Et, sans connaître aucun intérieur abri,
Usa ses jours, faible de corps et triste d’âme.
Et la plus déplorable existence qui soit !
Une solitude absolue, avec l’orgie
Des sentiments croissants dans la pleine anarchie ;
Pas la moindre contrainte et pas la moindre loi.
La Volonté, dès les premiers efforts, vaincue ;
Nul souci d’un labeur ou d’un but généreux ;
Une vie engagée au hasard, comme un jeu,
Toujours imaginée au lieu d’être vécue.
Et tous ces douloureux vices spirituels :
L’orgueil de la faiblesse et l’ironie amère,
L’impuissance d’aimer, l’égoïsme mortel,
Le maladif amour de sa propre misère.
Pourtant, des facultés brillantes, mais si tôt
Au caprice inconstant du rêve gaspillées !
À quoi servit tant de richesse éparpillée ?
Mieux vaudrait le néant de tous les dons plutôt !
Et puis, souvent, l’horreur d’un sort si lamentable,
Le désespoir de n’avoir pas un idéal,
La conscience d’un désastre irréparable,
Et ces retours affreux sur soi-même et son mal ;
Ainsi, dans un désert de toute noble ivresse,
Dans une lassitude, un désarroi navrants,
Dans un oubli complet que l’on peut être grand,
J’ai traîné, j’ai perdu ma vivante jeunesse.
— Mais, au moment où je croyais évanoui
Pour jamais tout vestige en moi de la lumière,
Sur cette route où je gisais dans la poussière,
Soudain, par un miracle à mon cœur inouï,
Voici qu’une âme, la plus pure, la plus belle,
Sa penche sur mon âme aux troubles profondeurs,
Non par pitié, non par charité fraternelle,
Mais afin d’y puiser sa vie et son bonheur.
Ah ! moi ! l’être malade, indigne et vain qu’emportent
Tous les désirs incohérents, tous les tourments,
Moi qui m’abandonnais comme une épave morte
Et qui ne savais plus où m’accrocher vraiment,
Moi, de tant de péchés la misérable proie,
Moi qui reçois, ainsi qu’un héros triomphal,
Ce rayonnant bienfait qui n’a pas son égal,
Ce suprême trésor : pouvoir donner la joie !
Quel chant sacré pour célébrer un tel destin
Faudrait-il susciter du fond de ma souffrance ?
Quelle brûlante effusion de mots divins ?
Quelles larmes d’amour et de reconnaissance ?
N’est-ce pas un rachat de mes sombres Passés ?
N’est-ce pas un appel pressant qui me convie
Aux florissants futurs où mon âme ravie
Pourra se dérober à ces mondes glacés ?.

LA CONQUÊTE
Sitôt que ta pensée hâtive fut éclose
Et que ta passion commença de chanter,
Tu te précipitas sur l’infini des choses
Avec une fureur tragique d’exister.
Le monde était pour toi comme une immense proie :
Tu désirais en arracher les plus chers biens ;
Et, sans songer qu’il est d’autres droits que les tiens,
Tu voulais t’engloutir en un gouffre de joies.
Quelle était ta cruelle et torturante ardeur !
N’aurais-tu pas, dans ton ivresse inassouvie,
Nourri des cœurs aimants et ravagé des vies
Pour apaiser ta soif féroce du bonheur ?
Il te fallait des emportements inouïs ;
Tu voulais des torrents d’émotions profondes
Qui, pour laisser ton être à jamais ébloui,
Te fissent palpiter avec le cœur du Monde.
Tantôt ici, tantôt là-bas, par tous chemins.
Tu bondissais avidement vers ta chimère…
Et lorsque le fantôme échappait à tes mains
Tu t’irritais en accusant la Vie entière.
Ainsi, dans un tourment sans cesse renaissant,
D’une inquiétude éternelle dévorée,
Ton seul souci, dans cette existence égarée,
N’était que de ravir ton instinct frémissant.

Recueillir des halliers l’écho doux et sonore,
Tendre des bras d’amour vers le mourant soleil,
S’enivrer du feu pur et fluide qui dore
Les flots, quand sur un lac frissonnant et vermeil
Se lève en souriant la virginale Aurore.
Suivre le vent léger qui murmure et qui fuit,
Croire qu’on voit passer, sous les vieux rameaux graves,
Un Elfe aux pas furtifs, troublant le bleu minuit,
Entendre soupirer l’âme étrange et suave
Des forêts et des eaux rêveuses, dans la nuit.
Là-bas, là-bas, au loin, vers la mer sans limite
Où s’ouvrent les chemins des songes, où s’en vont
Les vagabonds désirs et le cœur qui palpite,
Chercher, de l’aube au soir, du soir à l’aube, où sont
Les palais merveilleux de la reine Amphitrite.





